Le confinement a été une période particulière pour tous les français. Chacun a dû apprendre à vivre et à travailler chez lui, avec son entourage. Alors que pour certains, cet épisode si singulier a été vécu comme un havre de paix et de redécouverte de la vie familiale, il en a été différemment pour les femmes victimes de violences conjugales. Ces dernières se sont trouvées en contact constant avec leurs conjoints dans une situation de maltraitance où même l’appui associatif ne pouvait être aussi effectif qu’auparavant.
Ces violences ont été fortement médiatisées lors du premier confinement avec des campagnes de prévention. De nouveaux et nombreux outils de soutien aux victimes ont été créés.
C’est dans ce contexte que Lola DEGOUT, jeune étudiante en carrière sociale engagée en tant que volontaire dans un service civique au CNAHES-Paca, a décidé de travailler sur ce sujet à l’échelle locale à partir d’interviews qu’elle a effectués.
Cet article est une contribution à l’appel du CNAHES national « le travail social et l’éducation spécialisée face à la pandémie de COVID-19 ». Il fait d’autre part écho à la journée internationale contre les violences conjugales, le 25 novembre prochain.
Nous vous le livrons intégralement : c’est un témoignage de ce que les associations et les travailleurs sociaux ont su réinventer dans une période où les violences conjugales ne pouvaient qu’être décuplées.
CRISE SANITAIRE DE 2020 : Les conséquences du
confinement pour les femmes victimes de violences conjugales
Août 2020 : voici plusieurs mois que la France, comme la plupart des autres pays dans le monde, traverse une grave crise sanitaire, en raison de la pandémie liée à la COVID-19. Le CNAHES, Conservatoire National des Archives et de L’Histoire de l’Education Spécialisée et de l’action sociale, s’est donné pour mission d’aider les associations du champ éducatif et social à sauvegarder leurs archives, et, à travers elles, le patrimoine collectif que représente l’histoire de ce champ d’activités.
C’est aujourd’hui que s’écrit ce qui demain sera l’histoire.
La crise sanitaire de 2020 liée à la COVID-19 est un de ces moments particuliers que retiendra l’histoire. S’interroger sur les conséquences de cette crise sur les personnes les plus vulnérables, est un objet d’étude en cohérence avec les activités du CNAHES. Cette crise s’est caractérisée par une période de confinement de mars à mai 2020. Cela a engendré de nombreux problèmes au niveau sanitaire, social, économique… Les personnes vulnérables ont vécu cette période de confinement avec d’autant plus de difficultés que leurs conditions de vie étaient déjà marquées par la précarité, des logements souvent exigus et parfois insalubres, ceci renforçant chez elles une sensation d’enfermement et d’isolement.
Parmi ces personnes vulnérables, les femmes victimes de violences conjugales ont été particulièrement affectées par cette contrainte de devoir vivre avec leurs bourreaux. Mettre en évidence l’accroissement des difficultés vécues par ces femmes et recenser les réponses qui ont pu y être apportées, tel est le but de cet écrit. Il est le fruit de diverses recherches et lectures mais aussi du recueil de témoignages auprès de divers intervenants sociaux menant des actions auprès de ces femmes victimes.
Les conséquences du confinement pour les femmes victimes de violences conjugales
Qu’appelle-t-on « violences conjugales » ?
Les violences conjugales ne sont pas un phénomène nouveau. Pendant des siècles, le modèle patriarcal a placé la femme sous la domination de son mari, ce dernier ayant pratiquement droit de vie et de mort sur son épouse. Ainsi les cas de violences au sein du couple étaient assez banalisés, du moins étaient acceptés dans la société. Les dispositions du code civil de 1804, dont la plupart resteront applicables jusqu’au début du 20ème siècle, traduisent la continuité de cette emprise.
On relève notamment :
Art. 213 : Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari.
Art. 214 : La femme est obligée d’habiter avec le mari, et de le suivre partout où il juge à propos de résider.
Art. 1398 : Les époux ne peuvent déroger aux droits résultant de la puissance maritale sur la personne de la femme et des enfants, ou qui appartiennent au mari comme chef.
Art. 1421 : Le mari administre seul les biens de la communauté. Il peut les vendre, aliéner et hypothéquer sans le concours de la femme.
Les choses ont commencé à évoluer en 1944 lorsque le droit de vote pour les femmes a été accordé. Il faudra attendre la loi de 1965 réformant le régime matrimonial pour que la femme puisse gérer ses biens, ouvrir un compte en banque, exercer une profession sans l’autorisation de son mari. On peut dire que les différentes étapes de l’émancipation de la femme ont favorisé un regard de plus en plus critique sur les violences conjugales. On a ainsi assisté à l’émergence et au développement de leur répression et à la mise en œuvre par les pouvoirs publics d’actions de prévention de ces violences.
Il y a eu un développement de la pensée publique qui a favorisé l’exercice de plus en plus effectif des droits des femmes, parallèlement à la libération progressive de la parole des femmes. Malgré cette évolution, le problème des violences conjugales reste d’actualité.
Selon les médias, on estime en France chaque année à environ 215 000, le nombre de femmes victimes de violences conjugales par leur conjoint ou ex-conjoint.
L’année dernière, en 2019, ce sont au moins 122 femmes qui ont péri sous les coups de leur conjoints ou ex-conjoints.
Une caractéristique commune : l’emprise
Les violences conjugales peuvent prendre différentes formes : physiques, mentales, psychologiques, sexuelles, financières, …
Mais, dans tous les cas, il s’agit bien d’une emprise et d’une domination exercée par un conjoint sur l’autre.
Il peut s’agir de coups, plus ou moins violents, de menaces ou d’intimidations, de harcèlement permanent (harcèlement sexuel, mais aussi espionnage des déplacements ou des relations avec d’autres), d’exigences financières menaçantes ou de reproches de dépenses excessives, de dévalorisation systématique (sur le physique, le comportement, la façon de s’habiller, etc…).
« En fait la violence conjugale c’est une spirale. C’est une spirale où il y a un prédateur qui guette sa proie. Quelle qu’elle soit, elle va tomber dans le filet, si elle n’est pas entourée, si elle n’est pas vigilante, si elle n’a pas compris ce qu’est ce cercle. Parce que souvent ça commence par l’amour, «tu sais que je suis amoureux quand bien même je te crie dessus mais je t’aime tu le sais. Je te tape mais je ne voulais pas. ». Moi j’ai eu des femmes en entretien qui disent « oui, mais il ne voulait pas », il ne voulait pas, mais il l’a fait. Aimer et taper ça ne rime pas ensemble »
(Une Conseillère Conjugale et Familiale du Planning familial de La Trinité 06).
L’impact du confinement sur les violences conjugales:
La crise sanitaire liée à la Covid-19, en instituant le confinement comme un des modes de résorption de la pandémie, a contraint des couples et des familles à vivre ensemble de manière permanente durant plusieurs semaines. Cette situation a obligé femmes et enfants victimes de violences domestiques à rester en permanence avec leurs bourreaux. Cet enfermement a décuplé les violences que subissent les femmes. Habituellement Monsieur ou Madame part travailler, sort du domicile ce qui laisse un temps de trêve pour la femme. Pendant ces nombreuses semaines, beaucoup de ces femmes n’ont donc eu aucun répit.
Le confinement n’a donc pas inventé cette violence mais l’a accentuée :
« Il y a eu 37% de plus de demandes, on a eu vraiment beaucoup d’appels. »
(Une accueillante de l’association Femmes Solidarité.)
Cette situation accentuait la difficulté qu’avaient les femmes pour lancer des appels à l’aide. L’homme étant donc présent toute la journée au domicile, il était compliqué pour la femme de prendre son téléphone, souvent surveillée par son conjoint, pour demander de l’aide. L’homme ayant une réelle emprise sur la femme, celle-ci ne pouvait s’échapper de ce calvaire.
Malgré les aides proposées pour venir en aide à ces femmes, certaines d’entre elles ont eu beaucoup de mal pendant le confinement à trouver le bon moment, le bon endroit pour appeler à l’aide. Cela était d’autant plus vrai pour celles qui avaient des enfants.
L’école étant suspendue pendant le confinement, les enfants se trouvaient également contraints à rester au domicile les obligeant, parfois à être témoins de ces violences.
Habituellement, c’est à l’école que sont décelées les violences domestiques grâce au corps enseignant. Mais les établissements scolaires étant fermés, les enfants n’avaient pas d’échappatoires non plus. Ils ont été, tout comme leurs mamans, victimes et/ou témoins de violences. Le fait qu’un enfant soit témoin de violence conjugale est considéré, par la justice française, comme une circonstance aggravante des agissements de l’homme violent.
« L’enfant qu’est-ce qu’il a mérité dans l’histoire ? [les enfants qui ] sont témoins, ils sont plus que victimes…Aujourd’hui, ce sont des circonstances aggravantes qu’un homme lève la main sur une femme en présence de son enfant, l’enfant est victime, il subit la même chose. »
(Une Conseillère Conjugale et Familiale du Planning familial de la Trinité 06.)
Ce confinement a été aussi un révélateur de comportements violents jusqu’ici sous-estimés ou plus ou moins supportés. D’abord certains hommes se sont découverts violents. Avant le confinement, c’étaient des hommes n’exerçant aucun acte violent physiquement envers la femme ou se limitant à des violences psychologiques
« Mais on a eu aussi des situations où il n’y avait que de la violence psychologique et morale et là, Monsieur est passé à l’acte physique par exemple. Frapper alors qu’avant ce n’était que des gros mots. »
(Une accueillante à Accueil Femmes Solidarité)
A l’inverse certaines femmes se sont rendu compte qu’elles ne pouvaient plus supporter ce calvaire. Ce confinement a permis à ces femmes de prendre le temps de réfléchir, de se poser et de réaliser ce qu’il se passe au sein du couple. Que ce soit au début de la relation ou alors au bout d’un certain nombre d’années de vie commune, elles ont pris conscience de l’anormalité voire du danger de cette situation. Ce déclic a conduit certaines femmes à parler, à voir des associations afin d’y trouver de l’aide.
« Pour les femmes victimes, c’est juste que celles qui étaient au tout début de la violence, elles ont pu se dire « je ne peux pas rester, ce n’est pas pour moi, ce n’est pas normal je ne peux pas continuer comme ça ». Certaines ont découvert leur conjoint ou leur compagnon ou mari. D’autres se sont découvertes à ne plus supporter ou à ne pas supporter. D’autres ont compris que pour les enfants ce n’est pas une vie, pas pour elles, pour les enfants ce n’est pas une vie. Découvrir l’autre pour de vrai, apprendre à le connaitre. C’est là où les personnes ont appris à se connaitre pour de vrai. Il y avait toujours les paillettes les strass, là il n’y a plus rien. »
(Une CCF Conseillère Conjugale et Familiale du planning Familial de la Trinité 06)
« Ça leur a permis de réfléchir, de se poser et d’entreprendre. De se laisser le libre arbitre de se
dire « aujourd’hui j’en peux plus ». Ça a peut-être été un point de non-retour qu’elles ont atteint.
Elles se sont décidées à voir un petit peu devant et à être soutenues et à engager les démarches. »
(Une intervenante de Montjoye)
Les actions mises en place pour accompagner les victimes
Les actions déjà existantes
La prise de conscience de cette réalité de violences conjugales subies par les femmes a conduit à mettre en place différents dispositifs soit par des initiatives militantes soit par l’Etat.
Il existe un certain nombre d’associations dont l’objectif est de venir en aide aux femmes victimes de violence. On y retrouve des juristes, psychologues, travailleuses sociales, … qui interviennent pour soutenir ces femmes. Ils/Elles sont là pour accompagner ces femmes sous forme d’entretien dans la déposition de plainte, pour un accompagnement psychologique…
Ils/Elles organisent également des hébergements pour certaines victimes, avec ou sans leurs enfants, lorsqu’elles ne peuvent plus rester au domicile conjugal. Ainsi l’accueil fait pour les femmes victimes de violences existe déjà depuis plusieurs années.
Le fait d’avoir créé ces dispositifs permet de reconnaitre l’existence de ces violences et de reconnaitre ces femmes comme victimes. L’Etat, outre qu’il subventionne certaines de ces associations, a créer des dispositifs d’aide, notamment la mise en place d’un numéro dédié, 3919, qui permet aux femmes de faire des appels à l’aide via leur téléphone et d’ être accompagnées. De plus certaines femmes ont la possibilité de recevoir un TGD,Téléphone Grave Danger, délivré par le procureur de la République. Ce dispositif permet aux femmes, par simple pression sur une touche, de prévenir très rapidement les forces de l’ordre en cas de menaces ou de grave danger.
Les outils mis en place pour venir en aide pendant le confinement
Les travailleurs sociaux et représentants de l’Etat ont continué à travailler pendant le confinement en développant des méthodes nouvelles, tel que le télétravail. L’aide et le soutien aux femmes victimes de violence ne pouvaient s’arrêter brusquement à cause du confinement. Il était nécessaire de continuer à prendre des nouvelles, engager des démarches, soutenir ces victimes et surtout rester vigilants.
Alors qu’habituellement, les travailleurs sociaux reçoivent les victimes en entretiens en face à face, ils/elles ont dû s’adapter en travaillant depuis chez eux. Ils/Elles ont alors fait des entretiens téléphoniques pour continuer à accompagner les femmes victimes. Des entretiens vidéo ont également été organisés, en collectif ou en individuel, pour les femmes qui préféraient voir leur interlocuteur/interlocutrice. Ces entretiens ont permis de ne pas laisser les femmes seules, en leur permettant d’être toujours soutenues et écoutées.
« Le lien téléphonique nous a permis d’être en lien avec la famille au quotidien. »
(Une éducatrice spécialisée d’ALC)
« Tous les appels ont été transférés sur un numéro de portable professionnel de manière que je
puisse traiter les informations le mieux possible. Certes ce n’était pas facile parce qu’à distance on
ne fait pas le même travail qu’en entretien physique.[…] Mais seulement avec un tout petit téléphone portable j’ai pu faire pleins de choses : aider des femmes qui n’avaient pas un accès internet, rectifier par exemple des dossiers de logement social et engager des démarches qu’elles ne pouvaient pas faire. »
(Une accueillante à Accueil Femmes Solidarité)
Une des missions des travailleurs sociaux consiste également à organiser des hébergements, d’urgence ou non, pour les femmes victimes de violences. Certaines femmes ont fait des demandes d’hébergement pendant le confinement, parfois c’était une question de vie ou de mort. Dans certaines situations où les violences pouvaient devenir dangereuses pour la vie de la femme ou de ses enfants, ou que les situations n’étaient plus supportables par les victimes, les travailleurs sociaux ont organisé des hébergements dans des hôtels de la région. Habituellement, l’accompagnement pour un hébergement d’urgence ou travaillé durant plusieurs semaines n’est pas simple, mais le confinement a augmenté la complexité de l’opération. Pour obtenir un logement dans l’urgence, il faut solliciter le 115, numéro du SAMU social qui, la plupart du temps, va trouver des chambres libres dans des hôtels. Reste à organiser le déplacement de la famille, ce qui a représenté une réelle difficulté pendant cette période où personne (la famille comme les travailleurs sociaux qui l’entourent) ne pouvait sortir. Ainsi les actions habituelles comme commander un taxi, accompagner la victime, organiser la sortie du domicile avec les enfants, trouver des hôtels qui acceptent d’accueillir des personnes ont été plus compliquées.
« On a fini par contacter le 115 pour faire une mise à l’abri. […] On a trouvé un taxi qui pouvait prendre 6 personnes et nous avec une collègue on a accompagné la fille. […]la famille est restée 15 jours dans l’hôtel à Cannes »
(Une éducatrice spécialisée d’ALC)
« Beaucoup plus d’hébergements d’urgence par le 115 SAMU social, il y a eu des maraudes qui ont
été faites justement toujours par le SAMU social pour apporter de l’aide alimentaire pour les femmes qui étaient justement confinées dans des chambres d’hôtel. »
(Une accueillante à Accueil Femmes Solidarité)
L’Etat a également mis en place certains nouveaux outils pour venir en aide aux femmes. A été notamment demandé aux pharmaciens/pharmaciennes de servir de relais entre les victimes et la police. Les victimes pouvaient prétexter à leur bourreau qu’elles allaient chercher des médicaments ou autre et aller dans une pharmacie et appeler à l’aide. C’était une alternative pour certaines femmes qui ne savaient pas qui contacter ou quoi faire pour se sortir de leur situation.
L’Etat a eu comme initiative aussi de mettre des permanences dans des centres commerciaux. Ces permanences avaient pour but d’accueillir les femmes qui venaient demander de l’aide en prétextant aller faire les courses. Dans ces permanences, il y avait des policiers, des travailleurs sociaux et des associations qui étaient présents.
Les tribunaux sont restés ouverts pendant le confinement, pour les affaires urgentes, et, entre autres celles concernant des violences conjugales ou domestiques. Ceci a permis d’éloigner le conjoint violent assez rapidement sans devoir attendre la fin du confinement. Il a également permis aux femmes de pouvoir porter plainte et de passer le reste du confinement en sécurité.
« Le tribunal était ouvert pour les urgences et notamment pour les situations de violences conjugales. Enormément de personnes sont passées en comparution immédiate. Là il n’y avait pas d’hésitations, les gendarmes prenaient monsieur et le sortaient de chez lui très rapidement, il y avait éviction du conjoint violent immédiat. »
(Une accueillante à Accueil Femmes Solidarité)
Sensibilisation et médiatisation
S’il y a une chose que le confinement a permis, c’est une médiatisation plus importante de la prévention des violences faites aux femmes. Durant ces nombreuses semaines, des publicités à la télévision, des affiches publicitaires alertaient de la gravité des violences conjugales. Cette médiatisation a permis à la population de se rendre compte de la gravité des violences conjugales, de leur existence et des risques d’en être victime sans même s’en rendre compte. Cette médiatisation a pu aiguiller des voisin(e)s, ami(e)s, témoins de violences conjugales, sur les diverses démarches à engager pour venir en aide. La médiation et la sensibilisation a permis aux femmes victimes de se sentir reconnues comme victimes, parfois de se rendre compte que leur situation est anormale et qu’il y a plusieurs moyens pour demander de l’aide.
La crise : lecture critique des travailleurs sociaux
Les difficultés rencontrées
Au cours de cette crise, les travailleurs sociaux ont constaté l’aggravation de certaines difficultés,
et notamment la dégradation de certaines situations de femmes en difficultés.
Ne pas pouvoir voir la personne a d’abord été vécu comme un obstacle supplémentaire à l’aide qu’ils/elles pouvaient apporter : il était compliqué d’accompagner les personnes dans les démarches administratives et notamment celles auprès la police ou des assistantes sociales.
Pour pallier ce manque, les initiatives de l’Etat d’organiser des lieux d’écoute et d’accueil dans les pharmacies et dans les centres commerciaux n’a pas toujours bien fonctionné. Les travailleurs sociaux évoquent le fait que les pharmacien(ne)s et policier(ère)s n’ont pas ou peu été formé(e)s pour accueillir des femmes victimes de violences conjugales et cela a parfois posé problème.
« Je devais donner des documents à une dame qui devait faire son avortement à l’étranger, qui ne
devait pas sortir de chez elle et quand je lui ai parlé de la pharmacie elle m’a dit « ne m’en parlez surtout pas, il sait que si je vais à la pharmacie je voudrais porter plainte contre lui, ou faire un
signalement. Il m’interdit de me faire avorter ». Ça aurait pris une autre ampleur si on s’y était pris
avant. »
(Une CCF du Planning familial de la Trinité 06)
« Ce sont des dispositifs qui n’ont pas marché, je vais vous expliquer pourquoi. Parce qu’ils ont été
faits un peu dans l’urgence, en même temps pour les médiatiser, les auteurs étaient au courant. Du
coup ils ne laissaient plus leur femme aller toute seule à la pharmacie. Après quand on s’est aperçu
de ça, on s’est dit que même si la victime est accompagnée de son conjoint violent elle va dire «
masque covid-19 », enfin ce sont des choses qui n’ont pas marché. »
(D’après une accueillante d’Accueil Femme Solidarité)
Le positif à retenir
Après réflexion, les travailleurs sociaux ont quand même réussi à dégager du positif dans cette période si particulière. Les nouvelles pratiques ont créé de nouvelles habitudes, et ont permis de découvrir certains outils plutôt efficaces. En effet, certaines femmes ont déclaré préférer les entretiens par téléphone. Ce genre d’entretiens permet aux femmes de ne pas avoir à « gérer » le regard de la personne en face d’elle. De plus, les entretiens se faisant par téléphone, les travailleurs sociaux pouvaient donner des rendez-vous plus rapprochés.
« Les personnes s’accommodaient quand même assez bien à ces modalités-là d’autant plus que les
rendez-vous étaient fixés très rapidement. Habituellement il y a quand même des petits délais d’une bonne dizaine de jours. Donc là le jour même ou dans les jours qui suivaient on pouvait parler avec les personnes et les démarches à distance pouvaient quand même être faites. Au niveau juridique et social aussi, elles arrivaient à se mobiliser alors qu’en général c’est un peu plus compliqué. »
(Une intervenante de Montjoye)
Pendant le confinement, le travail en équipes pluriprofessionnelles a été encore plus primordial qu’habituellement pour que l’accompagnement des victimes se passe au mieux. Dans ce secteur, il est compliqué de faire du télétravail, il était alors important que les travailleurs se sentent soutenus. Ils/Elles l’ont d’ailleurs été par la Déléguée aux Droits des Femmes qui a contribué au bon fonctionnement de la prise en charge et de la diffusion de nouveaux outils mis à dispositions.
« Il y a quand même eu la Délégation aux Droits des Femmes qui nous a envoyé les fiches réflexes, des guides. »
(Une intervenante de Montjoye)
« Oui, sincèrement, rien à dire. Moi j’ai la déléguée aux droits des femmes qui nous appelaient pour voir un petit peu, même pour nous remercier pour le travail qu’on faisait. Il y a un soutien financier et un soutien moral qui était présent. »
(Une CCF du Planning familial de la Trinité 06)
Il y a aussi eu un renforcement au niveau des équipes du 115, le SAMU social, permettant de répondre plus rapidement aux diverses demandes et d’être plus réactifs. Les travailleurs sociaux retiennent également beaucoup de solidarité de la part des gens en général. Il y a eu pendant le confinement une réelle prise de conscience nationale de la gravité des violences conjugales. La médiatisation y a, dans un sens, contribué. En effet, les voisin(e)s, ami(e)s prenant vraiment conscience de la gravité de certaines situations ont lancé des appels à l’aide.
Conclusion : et l’après ?
Le confinement a été une période très particulière qui restera dans la mémoire de tous. Cette période a été inhabituelle, de nouvelles choses sont apparues, une nouvelle façon de voir les choses s’est également manifestée. En effet, le confinement a été révélateur sur beaucoup de problèmes sociétaux notamment concernant les personnes vulnérables. Les gens se sont rendu compte de la gravité des violences conjugales, du calvaire vécu quotidiennement, accentué par le confinement. Personne n’était préparé à ce qui allait arriver. Ainsi de nouveaux outils ont été mis en place pour venir en aide à ces femmes. La question aujourd’hui est : de savoir si ces nouvelles méthodes mises en place vont rester ? Est-ce qu’une nouvelle vision des violences conjugales est apparue ?
Une chose est sûre, on ne pourra pas revenir en arrière, rien ne sera plus pareil.
La crise sanitaire liée à la Covid-19 a entraîné un confinement des populations qui restera dans les mémoires comme un événement marquant, impactant de façon particulière la vie de bon nombre de personnes. Tel est notamment le cas pour les personnes les plus vulnérables et, parmi elles, des femmes victimes de violence.
Le confinement a été pour elles, selon la situation de chacune, un révélateur ou un aggravateur des violences subies provoquant à la fois une prise de conscience du problème par l’ensemble de la population et un accroissement des situations de danger.
Les réponses sociales – celles des pouvoirs publics et du secteur associatif notamment – ont tenté de s’adapter en prenant des dispositions pour aider au mieux les personnes concernées, dans un contexte forcément nouveau.
Si certaines d’entre elles, prises dans la précipitation, n’ont pas nécessairement eu l’effet escomptée, des dispositifs nouveaux ont été expérimentés tandis que des pratiques professionnelles différentes sont apparues.
Passé le temps d’adaptation nécessaire, il apparait le sentiment, chez les acteurs sociaux eux-mêmes, que ces nouveautés ne sont pas dépourvues d’intérêt, de même que leur semblent bénéfiques les actions visant à mieux faire connaître au grand public ces situations de violence et la manière de pouvoir les prévenir.
S’il est inconcevable de revenir en arrière par rapport aux progrès réalisés, il reste à souhaiter que ceux-ci servent de tremplins pour développer des réponses encore plus adaptées à la prévention et à l’éradication des violences conjugales.
Lola DEGOUT
14 septembre 2020