Etienne JOVIGNOT est décédé le 18 septembre 2011 à DIJON, à l’âge de 87 ans. Ses obsèques ont eu lieu à l’église St. Michel de Dijon le 22 septembre. Il repose en paix au cimetière familial de Sainte Marie sur Ouche.
La délégation CNAHES-Lorraine qui s’est déplacée en région voisine s’est associé à tous ceux qui ont pu faire le déplacement pour saluer le grand homme que fut Etienne JOVIGNOT pour le secteur de l’Enfance Inadaptée et l’accompagner dans sa dernière demeure.
Ancien directeur du Centre d’observation de Chenôve en Côte d’Or, puis premier directeur de l’École d’éducateurs de Dijon (que j’ai eu l’honneur d’ouvrir avec lui comme étudiant à l’époque), Etienne JOVIGNOT a été un travailleur infatigable dans l’exigence de la mise en place du diplôme d’État et de l’évolution d’une formation professionnelle de qualité pour les éducateurs.
Sa dernière intervention publique a eu lieu à NANCY, dans les locaux de l’IRTS de Lorraine, lors des journées d’étude 2008 du CNAHES sur « la rééducation des filles ».
Pierre LALIRE en qualité d’ami de longue date et au nom du CNAHES lui a rendu un juste hommage public lors de ses obsèques. Je vous engage à lire ce texte ci-aprés qui rend bien compte de la grande richesse de cette personnalité.
Jacques BERGERET, délégué CNAHES-Lorraine
*
Etienne, mon vieil ami septembre 2011
J’ose prendre la parole pour ce dernier A Dieu, alors que d’autres compétences auraient su mieux que moi, mettre en valeur ce que tu as réalisé dans ta vie; tu m’as fait promettre, à plusieurs reprises, de dire « deux mots » le jour de tes obsèques; mais tu n’avais pas imaginé l’exercice difficile d’avoir à résumer en deux mots, le travail et les activités initiés par un homme créatif, intelligent et dont l’esprit est sans cesse en recherche pour développer, améliorer ce qu’il a mis en chantier! Je tente de répondre fidèlement à ta demande mais ce sera peut-être long !
Tu es né en Janvier 1924, à Grenoble, mais la situation familiale t’a fait découvrir en 1938 Sainte Marie-sur-Ouche où ton frère était le curé; en septembre 1944 alors que le village était soudainement occupé par des éléments de l’armée allemande en déroute qui avaient déjà tué dix personnes et incendié des maisons, tu as fait la liaison entre l’armée et la population qui devait s’enfuir. A plusieurs reprises tu as pu temporiser, éviter une intervention violente de l‘armée, alors que ta famille prodiguait des soins à des soldats sérieusement blessés, une partie de la population a pu fuir pendant ce temps dans les bois environnants. Quelques années après, tu es revenu fréquemment animer des activités paroissiales
Je te connaissais pour avoir participé avec toi à un stage de formation de moniteur de colonies de vacances au château de Lantenay, au mois de juillet 1944 . Je t’ai retrouvé à Dijon, le 13 septembre, devant la Porte Guillaume, deux jours après la libération de la ville, tu portais l’uniforme de la 1ère Armée Française: tu venais de t’engager, comme infirmier, et tu partais sur la Franche Comté, la campagne d’Alsace et l’Allemagne; nous nous sommes dit « au revoir » ou adieu », je ne sais plus!
Nous nous sommes retrouvés en 1946, après la guerre, toi en fac de lettres et moi au Centre d’Accueil, de Triage et d’Observation ouvert dans un pavillon de l’hôpital de la Chartreuse par la Sauvegarde de l’Enfance; à cette époque tu animais une jeune troupe de Théâtre « Les Baladins » et je dirigeais une chorale scoute: nous avons associé nos activités pour programmer des séances de spectacle dans la région, et au-delà; plus tard, tu as dit, avec ton humour toujours disponible, que nous avions inventé le «Programme Commun« . Avec les Baladins tu es venu distraire les garçons enfermés derrière les barreaux des fenêtres du Centre. Occasionnellement et avec l’accord du directeur, tu as remplacé bénévolement l’un ou l’autre des quatre éducateurs fatigué ou indisponible; plus tard tu as conduit tes Baladins jusqu’au Centre de Montigny-sur-Vingeanne pour présenter tes spectacles à l‘occasion de kermesses! Ces occasions de rencontres avec nos jeunes t’ont semble-t-il communiqué le virus de ce métier; en effet tu écris page B du texte qui présente ton dossier d’archives personnelles déposé aux d’Archives Départementales de Dijon: « Ces éducateurs font découvrir à Etienne Jovignot, l’intérêt de leur profession, notamment à l’occasion de spectacles présentés dans leurs établissements.
A cette époque tu étais professeur de philosophie au Lycée Carnot à Dijon: tu écris toi-même que: « cette orientation vers la pilosophie remontait à l’obtention du 2ème prix de philo au concours général des lycées de France, en 1942 ».
Le 1er février 1954, Pierre Alloing, quitte la direction du Centre régional d’observation de Chenôve, anciennement à la Chartreuse, appelé par la direction de l’Education Surveillée à accompagner Jacques Selosse au Maroc. Ta candidature pour remplacer Pierre est retenue et tu prends tes fonctions aussitôt; la transition se fait sans difficulté car tu connais bien Pierre, il faisait partie des baladins avec le chef de service Jean Develay et d’autres éducateurs!!!Ainsi commence ta vie professionnelle; tu disposes d’une équipe solide et d’adjoints qualifiés, le Centre et la profession s’enrichiront de recherches, d’expériences, de techniques qui étendront les activités vers de nouveaux domaines :
– l’observation en milieu ouvert (OMO) de garçons et de filles, première expérience, en France de l‘OMO, dans le secteur privé ; un travail en liaison étroite avec Monsieur Michard, Inspecteur Général de l’Education Surveillée.
– Consultation d’orientation éducative à partir de 1959
– Formation, sur le terrain, de stagiaires d’écoles d’éducateurs.
1962: un grand changement intervient dans ta vie professionnelle, la Sauvegarde a obtenu l’accord de l’administration pour ouvrir un Institut de Formation d’éducateurs spécialisés (IFES); tu es choisi par l’Association pour en prendre la direction le 1er juillet 1962.
Comme pour toute institution qui prend vie, tu rencontres de sérieuses difficultés: pas de locaux, pas de matériel, pas de personnel dans l’immédiat et il est urgent d’organiser le recrutement et la sélection, par chance tu ne manques pas d’idées: le stage de sélection se déroulera au CREPS, au château de Mirande; quant au personnel tu embaucheras tes collègues bénévoles et tu as eu de la chance ils ont accepté, avec une certaine curiosité. Finalement tout s’est bien passé sous ta direction ferme et assurée donnant confiance à chacun dans un rôle nouveau.
Quant au bâtiment, on te propose une installation provisoire dans un préfabriqué monté sur le terrain du Foyer du Mas d’Azil à Chenôve (l’hiver y fût rude!). Quelques temps après tu quittes Chenôve pour occuper provisoirement le premier étage de la grande maison qui abrite l’association de Sauvegarde, boulevard Carnot, à Dijon: tu disposes de locaux en partie en travaux; tu t’adaptes à des conditions désagréables, (une échelle remplace l’escalier), ta verve habituelle permet un climat détendu.
En septembre 1966 la nouvelle promotion s’installe dans les locaux neufs de la nouvelle Ecole. Très rapidement tu donnes une impulsion telle que cette maison paraît toujours en activité: les élèves sont au travail la journée et certains jours (trop diront quelques-uns) leur soirée est également programmée; par ailleurs tous les élèves habitent dans ce même bâtiment, c’est une ruche en permanence. Comme au Centre d’Obsservation tu es secondé par une sérieuse équipe de permanents et tu as fait venir de Franche-Comté un voisin de qualité, André Christin.
Jusqu’en 1969 l’IFES prépare au diplôme d’éducateur spécialisé de l’Université de Dijon: tu as, avec l’Association (Michel Delmas), négocié une convention engageant l’Université.
L’ANEJI, association professionnelle depuis 1947, a créé une section Formation, dont tu es le Secrétaire de 1963 à 1966. Dès 1964, avec deux compères déjà bien connus dans la profession, Marc Ehrhard, Pierre Alloing et toi, tous trois directeurs d’IFES, vous avez créé le Comité d’Entente des Ecoles, ces institutions devenant plus nombreuses; à l’intérieur de Comité vous avez formé une trinité qui avait décidé d’œuvrer pour obtenir la création d’un diplôme d’état d’éducateur. Vous avez travaillé dur pendant deux ans, vous avez fermement défendu et présenté votre projet au cours de rencontres nombreuses avec les représentants de l’Education Nationale; la profession entière suivait vos travaux avec beaucoup d’attention. Le 22 février 1967, vous avez gagné: le diplôme d’état (DEES) est promulgué, la profession est enfin reconnue.
De 1966 à 1974 puis de 1976 à 1984, tu es secrétaire général du Comité d’Entente des Ecoles et Centres de formation d’éducateurs spécialisés .
A partir de 1976 tu mets en place la préparation au Certificat d’Aptitude aux fonctions d’éducateur technique spécialisé (CAFETS).
En 1978 tu fais intégrer à l’Institut la formation de moniteur-éducateur qui était enseignée dans un autre établissement privé.
Avec l‘institut de formation de travailleurs sociaux, tu mets en place le diplôme supérieur en travail social (DSTS).
L’activité de l’IFES paraît sans limite: des formations de formateurs, des formations en cours d’emploi et d’autres activités sollicitées par la profession et les établissements et services trouvent leur place dans ton institution.
Tu as reçu la Médaille du Mérite social, reconnaissance officielle du travail accompli en faveur de la jeunesse confiée à l’Education spécialisée
Le 30 janvier 1984 sonne l’heure du repos: tu prends ta retraite? Pour toi cela veut simplement dire que tu trouves enfin du temps à consacrer à d’autres activités où tes connaissances et ton expérience seront utiles. Mais avant de nous quitter tu as voulu que tes enseignements perdurent et tu as fait un dépôt aux Archives départementales de 81 pièces : articles de revues, conférences, documents, travaux de recherche de 1955 à 2007
Tu participes dès 84 à la fondation à Dijon de l’Arche, institution mise en place par Jean Vannier, et dont tu deviens le Président ; tout est à organiser et tu travailles à cette création avec M. le Professeur Marin. Après avoir largement développé cette institution et bien que très attaché à cet établissement, au personnel et et aux pensionnaires, tu cesseras tes fonctions en 1990.
Tu as toujours été intéressé par les Arts: Peinture, Architecture, Musique, Lettres ainsi que la Liturgie; tes connaissances culturelles sont variées et profondes. Il n’est donc pas étonnant que la commission diocésaine d’art sacré du diocèse de Dijon demande ta collaboration; tu as ainsi siégé de 1973 à 1997 dans cette commission et tu en as assuré la présidence; tu as étudié un certain nombre d’églises anciennes: à l’occasion des visites d’églises ton enthousiasme était égal à la qualité de tes commentaires; il suffit d’avoir visité, avec toi, une église, Bar-le-Régulier par exemple, pour apprécier les connaissances que tu avais acquises: elles permettaient les explications détaillées, les réponses précises aux questions des visiteurs. Tu as consacré beaucoup à cette activité et tu as accumulé des séries de photos qui seront utiles à la Commission. C’était une autre passion.
Sur les murs de l’IRTES tu as fait des expositions de copies de tableaux; tu souhaitais initier les élèves et leur faire découvrir la beauté dans l’Art. Ayant quitté l’IRTES tu as osé installer dans le hall de ton immeuble une véritable présentation de reproductions d’œuvres d’art; au début les autres locataires ont été surpris, ce n‘est pas l‘usage; mais jusqu’à ton départ de l’immeuble tu renouvelais régulièrement les œuvres exposées; tu avais le désir de partager tes connaissances, ton plaisir.
Tu étais aussi attaché au chant de la Maîtrise de la cathédrale, tu as connu Joseph Samson, tu as chanté sous sa direction et tu étais attaché à sa personnalité. Tu as participé à l’exécution de certaines polyphonies en assurant le rôle du récitant, le théâtre avait ainsi préparé, la voix, le ton, le phrasé qui convenait à ton intervention. Par ailleurs, à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort de Samson tu as été chargé de prononcer son hommage : ce fût émouvant. Tu as engagé à l’IRTES son fils Jean-François qui a succédé à son père au chœur de la Maîtrise.
Enfin tu as rejoint notre Association CNAHES, (Conservatoire National des Archives et de l’Histoire de l’Education Spécialisée), tu as trouvé ta place et tu n’as pas manqué d’intervenir dans nos rencontres nationales avec le même entrain, la virulence et l’humour qui te portaient pendant tes années d’ activité.
Il est grand temps de parler de toi, chef de Famille. Le Centre, l’Ecole la profession t’ont accaparé beaucoup de temps, dont ton épouse et tes trois enfants, ont été été certainement privés. Le choix était difficile, tu étais engagé dans une aventure qui exigeait beaucoup de toi.
Chrétien engagé, ta foi a été souvent mise à l’épreuve:au terme d’une longue maladie ta chère Jacqueline est décédée, le 15 août 1975, encore jeune alors que ta famille avait besoin d’elle. Plus tard, un nouveau drame, le 31 décembre1991 ta fille Claire disparaît à son tour laisant un mari et deux garçons , Léo et Camille . En mai 1993 un accident emporte Françis, le papa de ces deux garçons. Enfin le 13 novembre c’est ton deuxième fils Noel qui est emporté par la maladie, privant de père sa fille Anaïs et Léo et Camille dont il avait pris la responsabilité. Tu as eu la joie de connaître ton arrière-petit-fils Pierrot.
Nous ne pouvions pas t’imaginer terminer ta vie seul, tu avais besoin d’une compagne pour te sortir de la solitude que tu vivais mal; tu as choisi Jeanne qui a dû s’habituer à tes humeurs, et tes éclats, car tu en avais, autant que de générosité et d’affection.
Comment as-tu pu supporté ces douleurs, profondes et intimes ces absences définitives? Comment ne pas se révolter de cet acharnement à te faire souffrir? Comment conserver l’Espérance ? Ces dix dernières années tu as connu aussi les maladies, enduré les douleurs, des soins difficiles ; toi le communicant, tu as peu à peu perdu les sens que tu avais largement mis à l‘épreuve, l’impossibilité d’écrire, les doigts et la main refusant cet exercice, l’impossibilité de lire, il ne te restait qu’un œil malade,et ta surdité qui s’amplifiait et t’empêchait de téléphoner, voire de converser aisément.
Je suspens cette conversation, certain de mes oublis.
Permets moi de présenter à toute ta famille mes condoléances émues, pleines de mon amitié et du profond souvenir que je garderai de toi.
A Dieu, Etienne.
Pierre LALIRE